Si c'est gratuit...

Ce jour-là, j’étais venue de Bretagne en région parisienne pour réaliser un devis de restauration à la demande d’une grande institution patrimoniale. Quatre heures de route, j’avais un peu hésité à y aller, mais j’étais déjà intervenue sur un travail assez similaire pour la personne qui m’avait contactée, dans une autre institution. Je m’étais dit que c’était une marque de confiance, et que ce serait intéressant pour moi de mettre un pied dans cette institution.

Arrivée sur place, on m’a tout de suite précisé les choses : « Nous avons fait appel à vous, car le premier devis que nous avons fait établir ne nous convient pas. Vous comprenez, ce n’est pas nous qui payons, c’est le lieu où va être exposée l’œuvre, ils trouvent que c’est beaucoup trop cher. »

Or ce lieu, ce n’est pas un petit musée sans moyens… mais une institution toute neuve, dont la construction a coûté environ 350 millions d’euros (plus de deux fois ce qui était prévu), et qui chipote sur un devis de restauration d’environ 2000 €, pour un objet de grand format qui demande plusieurs jours de travail et l’acquisition de matériel spécifique. Cette même institution qui, dernièrement, a mis jusqu’à 1 an pour payer les factures de certains confrères et consœurs…

Passons. Je suis là, j’ai accepté de venir, je prends des notes en vue de réaliser mon devis, un devis a minima donc. Et avant de reprendre la route, j’entends enfin cette phrase mémorable : « J’attends donc votre proposition. Vous comprenez, habituellement on travaille avec une autre restauratrice, mais là comme le musée tiquait sur le prix, on s’est dit qu’on faisait faire un autre devis. Après tout, c’est gratuit. »

C’est gratuit ? N’ayant aucun sens de la répartie, j’ai préféré ne pas relever. Je fais maintenant le calcul : ce devis « gratuit » (pour une intervention minimale estimée à environ 1500 € TTC) m’a coûté 140 € de frais d’essence et de péage (ce qui correspondrait à 615,80 € d’indemnités kilométriques – si j’étais indemnisée), 80 € de frais d’hôtel et de repas…

Alors, oui, j’ai accepté de venir gratuitement, bien sûr. Comme beaucoup d’entre nous, qui après 8 ans d’études en moyenne, gagnons à peine plus que le smic, dans l’espoir de pouvoir remplir un carnet de commandes qui n’est généralement pas rempli à plus de trois mois. Avons-nous le choix ?

J’aurais juste préféré ne pas entendre, en plus, cette phrase : « Un devis, c’est gratuit ». Qui m’en rappelle une autre, qu’on entend beaucoup actuellement, dans un autre contexte, à propos d’internet : « Si c’est gratuit, c’est vous le produit ».

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