La figure du restaurateur dans la fiction (2)

Pour s'accorder avec la rentrée littéraire, voici une nouvelle figure de restaurateur dans la fiction. Il n'est pas tout nouveau puisqu'il s'agit d'un roman policier publié en 1990, Trois carrés rouges sur fond noir, de Tonino Benacquista.

 

Le sujet de ce polar, assez intéressant pour son évocation du milieu de l'art contemporain à l'époque, est la quête d'un accrocheur d'œuvres d'art pour comprendre l'agression, liée à une œuvre énigmatique, dont il a été victime dans la galerie et qui lui a sectionné une main. La restauration n'y est qu'évoquée brièvement, à travers le personnage d'un restaurateur de peintures qu'on croise deux fois au cours de l'histoire.

 

[Au tout début du livre, une exposition est en cours d'accrochage, juste avant le vernissage - mais alors vraiment juste avant ! Les accrocheurs ont du mal avec l'œuvre qui est l'objet de l'histoire]

"Jean-Yves, le restaurateur, n'arrête pas de se marrer en nous regardant tourner. Il est allongé par terre, avec ses gants blancs, en train de retoucher un coin de toile endommagée. Il a presque fini, lui.

- Plus qu'un quart d'heure ! il gueule, pour m'énerver un peu plus."

 

[Nettement plus loin dans le récit, le personnage principal s'est fait tabasser et il se regarde dans un miroir pour constater les dégâts]

"Briançon [un médecin] ne pourrait rien arranger. Seul un restaurateur pourrait intervenir. Jean-Yves. Il arriverait avec sa petite mallette et se pencherait sur moi avec des gants et un compte-fils pour isoler la fibre abîmée. Ensuite, dans un coin, allongé par terre, il chercherait des heures durant l'exacte nuance du pigment, et de la pointe du pinceau il retoucherait avec une patience d'ange les zones malades. Je l'aimais bien, Jean-Yves, avec ses petites lunettes rondes et ses moustaches. A la longue il s'était spécialisé dans les blancs, on l'appelait de tous les coins d'Europe pour réunifier un fond de toile."

 

Brève apparition donc, mais on peut relever deux choses particulières chez ce restaurateur : il ne quitte jamais ses gants blancs, et, plus étrange, semble ne travailler qu'allongé par terre. Passons sur la position, je n'ai jamais vu aucun restaurateur s'allonger par terre pour intervenir sur une toile... Peut-être sur une œuvre un peu complexe, mais je ne vous dis pas l'inconfort. Pour ce qui est des gants blancs, avez-vous déjà vu un restaurateur travailler avec des gants de coton ? Des gants de latex, nitrile, vinyle, oui, mais allez essayer de manipuler un outil avec précision en portant des gants de coton... D'ailleurs, même pour manipuler certaines œuvres et documents, on revient sur cette idée : voir l'article de C.A. Baker et R. Silverman "Fausses idées sur les gants blancs".

L'évocation n'oublie pas de relever "la patience d'ange" du restaurateur, on ne peut pas y couper... Ce n'est pas faux que la patience soit requise dans le métier de restaurateur, mais c'est un tel cliché, et qui passe bien souvent avant tout le reste : la capacité de diagnostic, de réactivité, d'imagination devant des cas et des situations de travail toujours différents...

Je finis enfin sur cette dernière phrase qui me fait rêver... "on l'appelait de tous les coins d'Europe pour réunifier un fond de toile"... Je vis peut-être loin des hautes sphères muséales, mais pour ma part je n'ai jamais entendu parler d'un tel restaurateur, connu dans toute l'Europe pour sa compétence sur une couleur. Il y a tellement de restaurateurs de peinture, comment peut-on penser qu'une telle notoriété soit possible ? En-dehors de mon cercle professionnel, je ne suis pas capable de citer un restaurateur qui ait une telle aura. D'ailleurs, comment serait-ce possible puisque lorsqu'on parle d'une restauration dans la presse, on cite souvent le nom du conservateur en charge de l'œuvre, mais il est vraiment rare que le nom des restaurateurs y soit cité ?

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