La (non-) figure du restaurateur dans la fiction (3)

Je n’avais jamais lu Marc Lévy, peu attirée par les best-sellers affichés comme « le plus vendu » chez les marchands de journaux en gare, et n’ai lu La prochaine fois que parce qu’une consœur m’a indiqué qu’on y parlait de restauration.

 

Ce qui est assez marquant dans ce livre, c’est que si on y parle de restauration, on n’y croise en fait pas l’ombre d’un restaurateur ! Cette histoire, que j’avoue avoir lu en diagonale tant elle m’est tombée des mains dès le début – comment cet auteur peut-il faire tant parler de lui, c’est pour moi un mystère – cette histoire, donc, est celle de Jonathan Gardner, « expert » américain en peinture (la nature de son expertise restera assez obscure) et de sa rencontre tourmentée avec une belle galeriste anglaise qu’il a déjà rencontrée – et aimée bien sûr – dans une autre vie. Je crois n’avoir pas tout suivi à ce sujet. Ce sont en tous cas des personnes très riches, qui ne semblent pas beaucoup travailler mais qui prennent facilement l’avion sur un coup de tête entre les Etats-Unis et l’Europe pour prendre des cafés et organiser la vente des œuvres d’un artiste russe du 19è siècle, et particulièrement de son mystérieux dernier tableau que personne n’a jamais vu.

 

J’ai cherché, mais pas de restaurateur dans cette histoire, pas d’atelier ni de description d’intervention non plus, donc, et pourtant l’ « expert » parle bien de restauration : « Mon métier a aussi ses côtés scientifiques. Le temps altère la peinture et rend bien des choses invisibles à l’œil. Vous n’avez pas idée des merveilles que nous découvrons lorsque nous restaurons une toile. » En effet, on n’en aura pas idée, d’autant que, qui est ce « nous » ? Mystère.

 

Le seul passage un peu cohérent, mais amené comme un cheveu sur la soupe, est finalement la visite de cet expert au C2RMF, où soudain l’écrivain se mue en journaliste. Il a fait la visite, ça c’est sûr, et en est ressorti ébloui et lyrique : « l’un des laboratoires les plus secrets du monde », où travaillent 160 personnes (l’organigramme de 2015, que l’on trouve en ligne sur leur site, ne comprend « que » 28 salariés – administratifs, chercheurs et conservateurs, et je doute que 132 restaurateurs travaillent en permanence là-bas)… Mais ce temple de la technologie et de la modernité ne parvient cependant pas à résoudre le mystère de ce tableau. Mystère que va bien sûr résoudre tout seul l’expert, un soir où il le contemple sous la lune, dont la lumière va révéler un portrait caché, ainsi que la signature de l’artiste ! Ben voyons. Avis aux spécialistes de la peinture, si l’imagerie scientifique ne donne rien, essayez donc la lune !

 

Cela dit, même au C2RMF, toujours pas un restaurateur en vue. Mais tout à la fin du livre, le conservateur du musée où le fameux tableau va finalement trouver sa place détaille cependant à des visiteurs passionnés : « La toile que vous contempliez longuement cet après-midi se nomme La Jeune femme à la robe rouge. Elle a été rendue à son état original grâce au travail de restauration acharné entrepris par un commissaire-priseur […] ». Tiens, c’était ça la spécialité de notre « expert » : commissaire-priseur ? A moins qu’on ne parle de son ami Peter qui le suit tout au long de l’histoire et assiste désabusé à l’histoire d’amour qui se tisse entre l’expert et la galeriste – dans une autre vie peintre et modèle ? Mais qui a déjà entendu parler d’un commissaire-priseur-restaurateur ? Et ce travail acharné, c’était quand dans l’histoire ? Dans l’avion entre Boston et Londres, peut-être… Ou bien…

 

Je n’ai pas tout suivi. Et je ne suis pas certaine que ce ne soit dû qu’à la lecture en diagonale. Mais ce qui est sûr, c’est que, dans le monde de Marc Lévy, le restaurateur n’existe pas.

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