Le jeu des 7 erreurs

Dans le dernier billet, je vous proposais de relever certains traits de la profession déformés par l’auteur de La fille aux yeux de Botticelli, voire complètement erronés. En voici sept :

 

« Torelli […] avait la réputation d’accomplir des miracles »

Le terme de miracle signifie en langage courant un fait mémorable, incroyable et bénéfique, quelque chose considéré comme très difficile. La conservation-restauration est censée en effet être toujours bénéfique pour les biens culturels, quand elle est menée de façon rigoureuse et respectueuse, parfois difficile mais pas toujours, logiquement jamais incroyable : normalement tout s’explique dans le rapport de restauration, qui devrait être mémorable mais qui de fait est souvent oublié – quand il est lu – une fois rangé sur l’étagère.

 

« L’on prononçait son nom avec une sorte de respect mêlé de crainte. »

Je connais des conservateurs que l’on craint, mais un restaurateur ? J’en doute. C’est peut-être une histoire de pouvoir. Quant au respect… Chacun d’entre nous s’est entendu dire des choses comme « Tu arrives en pleine discussion entre intellectuels » lorsque l’on se propose de partager la pause-café avec des chercheurs, ou, dans une institution où l’on intervient depuis des années : « La qualité de votre travail n’est pas remise en cause, mais bon, le jeu des marchés publics, c’est de renouveler les intervenants ! »

 

« la grosse main maculée de peinture de Panuzzi » ; « [des] jeunes gens vêtus de tabliers en toile et de jeans maculés de poussière de plâtre »

Trouvez-moi un conservateur-restaurateur que vous avez vu un jour au travail les mains maculées de peinture, et je veux bien écrire un article par jour ! Ce sont peut-être les professionnels qui portent les tabliers ou les blouses les plus propres – peut-être après les pharmaciens ou les secrétaires médicales. J’en porte moi-même rarement, c’est tout dire !

 

« Mais vous le savez aussi bien que moi, […] les restaurateurs sont des menteurs pathologiques. […] Chez eux, le retard est une question de principe. »

Pour ce qui est du retard, on ne va pas nier que cela arrive. La question intéressante est de savoir pourquoi. Sur le mensonge, je ne m’étendrai pas, je renvoie au code d’éthique de la profession, qui, de par sa rigueur et son exigence, me paraît pouvoir exclure tout lien entre conservateur-restaurateur et mensonge (sauf exception).

Alors, le retard ? Parce que nous nous tournons les pouces toute la journée ? Pas vraiment. Si nous n’avons pas assez d’activité, il y a des chances pour que le travail soit rendu à temps (à moins qu’on ne doive avoir un boulot alimentaire à côté pour tenir…). Mais d’un autre côté, à certains moments de l’année, le dernier trimestre par exemple, quand tout le monde nous passe commande à la fois, avec des factures qui doivent être rendues avant la clôture de l’exercice annuel (qui s’étale de septembre à décembre), ça peut devenir un exercice de haut vol ! Quant à refuser du travail à cette période-là… quand on sait que l’année démarre difficilement au mois de mars, au moment du vote des budgets, et ralentit grandement pendant les mois d’été, ça ne nous laisse pas beaucoup le choix ! Pour peu que dans les commandes, s’intercale une urgence : le traitement d’un sinistre, prioritaire bien sûr, ou encore une œuvre devant partir en exposition le mois d’après (au passage, remarquons que cette urgence aurait pu ne pas en être une si le traitement avait été prévu en amont)… c’est tout le planning qui s’en trouve surchargé et bouleversé.

 

« divers artisans sculptaient des statues à coups de ciseaux, étalaient des enduits et repeignaient des toiles élimées à petits coups de pinceau. »

Vous parlez bien d’un atelier de restauration ? On dirait plutôt d’un atelier de fabrication de décors de théâtre !

 

« il avait affaire à de véritables artistes, à des maîtres en la matière »

Les conservateurs-restaurateurs sont souvent comparés à des artistes, ce qu’ils ne sont nullement (ou alors, en-dehors de leur travail). La fiche métier de l’Union Nationale des Professions Libérales précise : « Le conservateur-restaurateur se distingue d’autres professionnels (artistes ou artisans) par sa formation spécifique en conservation-restauration, et par l’objectif poursuivi, qui n’est pas de créer de nouveaux objets, ni de les réparer en vue de leur utilisation fonctionnelle. »

 

« Impossible de repérer la moindre couture, la moindre retouche, sur cette Transfiguration… comme si elle n’avait jamais été restaurée ! – Et pourtant, elle était en lambeaux quinze jours plus tôt. »

Sans revenir sur l’impossibilité de restaurer une telle œuvre en quinze jours, ni de passer d’une peinture sur toile en lambeaux à une œuvre en état d’origine … rappelons plutôt les grands principes d’intervention directe sur les biens culturels : stabilité (des matériaux employés, de l’intervention), réversibilité (possibilité de revenir ultérieurement sur la restauration effectuée sans endommager l'œuvre) et lisibilité (visibilité des ajouts de la restauration par rapport à la matière originale)…

 

Enfin, ce n’est pas parce qu’on est le 8 mars, mais... selon une enquête réalisée par la FFCR en 2010 (non publiée), la profession de conservateur-restaurateur serait à 80% féminine. Où sont les femmes ?

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